mardi 20 mai 2025
Livres Les enfants sont rois Delphine de Vigan Folio ![]() En achevant ce roman, je suis restée un moment sidérée…car il donne à voir un univers, dont je soupçonnais certes l’existence, mais sans imaginer à quel point il pouvait conduire à de tels excès. L’histoire est celle d’une famille de youtubeurs (ou vlogueurs, pour être plus à la page !) …Mélanie, la mère, a longtemps été fascinée par le monde de la téléréalité mais elle n’a jamais été sélectionnée pour participer à une émission, à son grand désarroi. C’était vraiment une des seules activités qui aurait pu donner du sel à sa vie, qu’elle trouve bien morne. ![]() Qu’à cela ne tienne ! une fois mariée et mère de famille, elle décide de créer une chaine YouTube en postant des vidéos de ses deux enfants, Sammy et Kimmy, dans différentes situations de la vie quotidienne. Petit à petit, Happy Récré (c’est le nom de la chaine) rencontre un vrai succès, le nombre de ses abonnés augmente et elle finit par intéresser des annonceurs (fabricants de jouets, de vêtements pour enfants, de bonbons et autres sucreries…). L’aventure prend de telles proportions que le père abandonne son emploi pour se consacrer à plein temps à cette activité très lucrative et tourner des vidéos de plus en plus professionnelles : la famille touche un pourcentage sur les ventes de produits dont elle a fait la promotion, et elle reçoit aussi une multitude de vêtements, jouets, gadgets électroniques gratuits…Cela suffit à faire vivre les quatre personnes du foyer confortablement, voire plus. Tout pourrait se dérouler sans accroc, sans un grain de sable (un drame) qui va détraquer cette machine bien huilée. Je ne vous révèlerai pas la suite de l’histoire, mais je voulais en tirer quelques réflexions. ![]() Pour une logothérapeute comme moi, le premier sentiment éprouvé est celui d’une grande tristesse : on ne peut qu’avoir le vertige devant le vide existentiel de la vie de cette femme. Inutile de parler de vie intérieure : elle n’existe tout simplement pas. Mélanie n’a aucune pensée personnelle ou originale : ce qui semble guider ses choix et ses prises de position, c’est le nombre de vues (et de likes) qui vont en découler sur sa chaîne. Elle n’a aucun centre d’intérêt non plus : lecture, bricolage, sport, vie associative ou artistique…rien sauf si c’est pour en faire une vidéo. Même les relations amicales ont disparu (excepté les « amis » virtuels). Tout est orienté vers la consommation d’objet aussi inutiles que coûteux, qui s’entassent dans les armoires de leur maison. Ce vide existentiel est comblé par un besoin irrépressible d’être vue, ce qui signifie pour elle « être aimée ». Une sorte de dédoublement de personnalité la conduit à se mettre en scène, à se demander toujours, à chaque instant de sa vie : « Quel effet est-ce que je produis ? Quelle image est-ce que je donne de moi ? Que pensent les autres de moi ? ». Cette fixation narcissique sur sa propre image l’empêche d’être attentive aux émotions des autres, à leurs besoins, à leurs souffrances : est-ce la peine de s’y intéresser d’ailleurs ? Car Mélanie en est persuadée : être vu, admiré et « liké » est le but ultime de la vie de ses proches, et de tout être humain en général. ![]() C’est pourquoi, en tant que thérapeute, je m’interroge sur les difficultés que ces personnes (et leurs proches) ne manqueront pas de rencontrer au cours de leur existence. Que se passera-t-il lorsqu’elles seront confrontées à une perte d’audience et de popularité, lorsqu’elles se heurteront à des questions essentielles de la vie humaine comme la solitude, la souffrance ou la mort ? Sont-elles irrémédiablement condamnées à ne jamais se retrouver face à elles-mêmes et à passer à côté d’une vie authentiquement humaine ? Bien entendu, la description de la vie de Mélanie est poussée à l’extrême de la caricature ; néanmoins, je vous invite à cliquer sur ce lien pour constater que la réalité est très proche de la fiction : https://www.youtube.com/@happyrosefamily5698/videos Lien permanant vers ce billet : https://www.mauxparmots.fr/lire_ecouter_voir-55.html
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